Comment tendre vers peu d’actions au cellier
Depuis 2 ou 3 décennies on entend de plus en plus parler de l’importance du travail au cellier pour donner au vin plus de beauté. Il est urgent que les amateurs, professionnels et journalistes inclus puissent se faire une opinion claire sur ce sujet. La question pour le vin «de demain» est plutôt de se demander comment peut-on atteindre le privilège de peu intervenir en cave.
Souterrain de stockage à La Coulée de Serrant
Si l’on caricature, il y a en cave 2 positions quasiment opposées. Soit on est en permanence interventionniste ; dans ce cas le cellier prend un peu l’apparence d’une usine. Soit on est juste a l’écoute de ce qui se passe et les actes que l’on fait sont alors très mesurés et très peu nombreux. Dans ce cas le cellier n’est qu’une maternité.
Pour pouvoir avoir le privilège de pouvoir opter pour cette 2eme formule il faut d’abord faire un pas en arrière et redécouvrir – de plus en plus d’amateurs de vin le comprennent – l’importance que joue l’agriculture pour la qualité d’un vin et la pleine expression de son lieu d’origine, donc de son AOC.
Par un seul exemple nous pouvons mieux comprendre cette réalité. Quand vous regardez une vigne au début du printemps, seuls quelques bourgeons sont visibles. Quand vous regardez la même vigne à l’automne elle est couverte de sarments, de feuilles, et de raisins – que l’on espère du reste n’être pas trop nombreux. Cela représente chaque année plusieurs tonnes de matière à l’hectare qui n’étaient pas présentes au printemps !
Si l’on en enlève l’eau on appelle cela la matière sèche. Trop de gens – moi aussi dans le passé – croient que cette matière vient du sol, alors qu’il n’en a donné seulement qu’environ 6% ! Le reste vient d’où? De la photosynthèse ! C’est-à-dire que de la lumière, de la chaleur sont transformées par la vigne en matière bien réelle que l’on a devant soi chaque année ! De l’intangible est devenu tangible.
Quand vous comprenez profondément cela, vous pouvez aisément admettre que tout ce qui peut troubler la photosynthèse va troubler l’organisation, ou les principes d’équilibre que la vigne met dans son raisin. Ce qui s’incarne par la photosynthèse, si l’agriculture est saine, si la plante est bien reliée à sa force archétypale a toujours une harmonie et un équilibre potentiel. La vigne, est un peu comme un artiste peintre qui sait se saisir des couleurs qu’on lui donne pour en faire une toile dont la globalité est belle. On voit bien dans certaines peintures impressionnistes comment une couleur qui si elle était seule serait trop vive, sait contribuer à la beauté générale de la toile. – La couleur trop vive pour la vigne c’est un aspect déséquilibré que le climat peut montrer une année. Si la vigne est bien en résonance avec le lieu où on l’a planté, si elle y est bien adaptée – et c’est cela un vrai terroir ! – elle pourra toujours harmoniser ce qui pourrait « analytiquement » être jugé comme un déséquilibre potentiel pour le vin. Elle sait, la vigne, inclure une acidité ou un alcool excessif dans une globalité pleine d’élégance. C’est pour cela qu’en dégustation on ne peut pas toujours deviner le niveau d’alcool ou d’acidité.
A l’inverse croire qu’un désherbant, que des engrais chimiques, des traitements pénétrants ou systémiques donc qui vont dans la sève – plus de 9O% des traitements actuels – n’ont aucun effet sur la qualité du vin, c’est totalement nier le rôle d’artiste de la vigne vis-à-vis de son raisin et c’est affecter en cave le comportement des moûts et le goût du vin qui en naîtra.
On ne devrait donc jamais, et ceci n’est hélas que très rarement compris, parler du travail que l’on peut faire en cave sans préalablement parler de l’agriculture que l’on a fait subir à sa vigne. Et si elle est déjà en biodynamique, on pourrait aussi se demander quelle est la biodynamie qu’on lui a donné. Était-elle adaptée au profil climatique de l’année? Il n’y a pas une biodynamie mais différentes utilisations possibles de préparations en biodynamie que l’on utilise à des moments qui varient en fonction de la plante à qui on les destine. Finalement la biodynamie c’est l’apport de dynamismes qui renforcent des échanges. A une époque où notre atmosphère devient dénaturée et ne peut bien transmettre à la Terre les impulsions de vie qui viennent du système solaire, c’est indispensable de renforcer ces échanges. C’est pour cela que la biodynamie triomphe partout dans le monde en viticulture. Il ne s’agit pas de mode mais d’effets bien réels sur le goût si les gestes ont été justes !
Qu’est ce que tout cela veut dire indirectement pour le travail de cave ?
Si votre agriculture est saine, si elle a été vivifiée par la biodynamie, votre raisin va pouvoir atteindre une pleine maturité, même si le temps est médiocre. Un seul des traitements en biodynamie, fait de quelques grammes /hectare, d’une silice judicieusement préparée et ensuite dynamisée une heure dans de l’eau avant d’être passé sur les feuilles, ou les grappes, favorise considérablement une belle maturité et arrête certainement la pourriture.
Pour des raisons que l‘on ne peut expliquer ici en détail mais qui sont traitées dans la 4e édition du Vin du Ciel a la Terre, ce traitement, bien que totalement naturel, doit être utilisé avec une grande prudence. Par une telle approche, il n’y aura bien sur pas lieu d’avoir recours à ces terribles anti-pourritures que l’on devrait aussi appeler retardataire ou modificateur de maturité ! Alors les levures naturelles issues du profil climatique de l’année, n’auront pas été détruites ou modifiées par les traitements systémiques et pourront «œuvrer» rapidement au cellier, c’est dire transformer parfaitement les nuances climatiques de l’année, en arômes originaux et harmonieux. Un relevurage parait alors dérisoire, une concentration par osmose ou par le froid aussi. On ne concentre pas une belle musique !
Mais ceci implique des rendements raisonnables. De même les raisins sains n’imposeront pas ou presque jamais un débourbage(enlever les boues du jus de raisin) qui élimine en même temps des vecteurs d’originalités. Et enfin la filtration ne s’imposera pas nécessairement ou restera légère. Puisque ce qui s’est assemblé harmonieusement peut se clarifier facilement par sédimentation.
Mais répétons le, tout ceci n’est pas possible si on a empoisonné les sols et la sève, si la vigne a du lutter pour sa survie et pour éliminer tous ces poisons qu’on lui impose. Un artiste ne peut bien travailler que quand de justes conditions l’entourent ! Chacun sait que quand les lois de la Terre sont plus fortes que celle soleil, donc quand la gravité l’emporte sur l’attraction solaire après l’équinoxe d’automne, la sève redescend et une sorte de petite mort s’installe avec l’hiver. La nature n’en est délivrée que quand les jours redeviennent plus longs que les nuits à partir du printemps. Un peu de la même manière, on peut, on doit, comprendre que si la photosynthèse est dérangée par des molécules de synthèse – dangereuses au point d’imposer légalement à celui qui les passe une combinaison étanche avec masque de respiration – l’incarnation des processus générateurs de goût et d’odeur d’origine solaire ne peut bien se faire. Alors oui, on a le devoir pour sauver sa vendange ou pour la rendre attractive, d’être terriblement interventionniste au cellier. Il faut tout refaire, tout parfumer, tout concentrer, tout tenter d’équilibrer puisque que les lois sages de la nature n’ont pu être exprimées. Le produit final est il bon? Aujourd’hui souvent oui, mais le goût d’origine n’est plus là. Combien de vins peuvent être reconnus à leur origine en dégustation aveugle aujourd’hui? Souvenez-vous des vins des années 50 issus de grands terroirs et de la magistrale démonstration de grandeur qu’ils pouvaient donner à l’étranger.
Pour celui, profondément attaché à ses vignes, qui commence à comprendre que l’agriculture doit redevenir un art, sa quête permanente du printemps à l’automne sera de faire les gestes qui permettront à la matière solaire de descendre comme il faut dans le raisin ou encore les gestes qui aideront le macrocosme à devenir microcosme comme le disaient anciennement les Grecs. La biodynamie sait le faire. Alors et alors seulement au cellier les actes à accomplir restent simples.
L’un d’entre eux important et incompris est le choix de la forme dans laquelle le vin va naître. Bien que nous soyons par notre architecture ancienne entouré des restes de ce qu’on doit appeler «la science des formes» aujourd’hui tout le monde ou presque ignore cette réalité. Le choix de la forme des barriques – je ne parle pas du bois neuf trop souvent utilisé comme un cosmétique pour une vendange sans typicité – ou de l’amphore (voir la 4eme édition prochaine Du Vin du Ciel a la Terre aux éditions Ellebore) sont a mon avis les plus appropriées. Ensuite il faut surveiller si les fermentations se déroulent bien et éventuellement, mais en fait rarement, recouper des cuvées. Ensuite il faut bâtonner donc mélanger les lies avec le vin. Et enfin laisser le tout se faire subtilement pendant le calme de l’hiver. Tout ceci implique que le cellier soit fait de matériaux sains, dans un lieu énergétiquement convenable, avec des formes adaptées, sans ces terribles pollutions de 50/60 hertz que l’on trouve en général maintenant sous presque chaque barrique comme éclairage (!) etc. etc. Que d’incompréhensions qui paraîtront effarantes dans quelques décennies.
Certains, habitués à entendre de véritables odyssées sur le travail du cellier peuvent être déçus devant un tel plaidoyer et prétendre à peu de créativité, voir même à de la paresse ou à un manque de savoir. En réalité il s’agit de l’inverse et d’un retour à une compréhension plus profonde des lois de la vie, que des intérêts économiques se sont acharnés à détruire. En réalité le plus grand travail du viticulteur au cellier est de faire acte de présence et d’admirer chaleureusement le travail qui s’accomplit. Cette sympathie, le vin la reçoit au travers de tous ses organismes vivants un peu comme un beau paysage qui vous touche. Tout n’est qu’information sur Terre avant de devenir un organisme physique. On savait cela autrefois en choisissant des formes appropriées à chaque aliment. La véritable créativité doit être utilisée quand le raisin est encore attaché à la vigne. C’est pour cela que de plus en plus de viticulteurs deviennent des « nature assistant » plutôt que des « wine maker » (fabricants de vins).
Enfin un mot volontairement court sur le soufre qui trop souvent devient l’arbre qui cache la forêt. L’utilisation d’un soufre, purement volcanique, est dans beaucoup de cas utile voir incontournable. Mais dans des conditions très précises on peut certainement faire un grand vin sans soufre.
On peut donc finalement résumer tout cela en disant que parler du travail de cave sans parler de l’agriculture faite préalablement c’est déjà contribuer à occulter une partie de ce qu’est la nature profonde d’une AOC.